Damnatio Memoriae

Cette histoire comporte des éléments qui pourraient heurter la sensibilité des plus ou moins jeunes, passez votre chemin si vous pouvez facilement être choqués.

Née sous le nom de Gwendolen Cynthia Talbaut, elle fut la première fille de la branche « principale » de la famille, qui était connue pour exporter le coton, et toutes autres denrées rares et coûteuses de l'époque, pour réaliser des profits d'envergure, qui leur avait valu une place au sein de la baronnie britannique après plusieurs générations à amasser fortune. Ce fut le seul avantage que la vie lui donna, au moins ne serait-elle pas née dans la misère de la rue et la nécessité de se battre pour ne serait-ce qu'avoir de quoi manger. Étant la première née du chef de famille actuel, et sans réelle certitudes d’avoir un héritier à l’avenir, on lui inculqua dès son plus jeune âge les notions importantes pour hériter de la famille et être bonne en affaire. Quand bien même elle eut un petit frère peu après, ses parents décidèrent de continuer à lui donner une éducation plutôt masculine, sans pour autant négliger les bonnes manières, pour qu’elle puisse supporter son cadet quand il héritera du poids de l’héritage familial. Oui, c’était plutôt exceptionnel pour l’époque, mais la famille Talbaut faisait tout ce qui était en son pouvoir pour perpétuer l’audace familiale et la fortune que leurs ancêtres avaient si durement acquis en faisant fi, au mieux, des mœurs envers les femmes. Elles devaient être capables de gérer la fortune au même titre que les hommes de la famille, au cas où n’importe quel incident arriverait.

Elle avait très peu de temps libre pour ne serait-ce que faire comme les enfants de son âge, jouer avec des amis, imaginer des histoires. Non, elle n’avait pas le temps pour ces jeux d’enfant. Elle devait faire preuve de maturité et apprendre ses leçons par cœurs pour faire la fierté de sa famille. Jamais elle ne jalousa son frère de lui avoir volé sa place. De ce qu’elle savait sur l’héritage, son cousin de quelques années son cadet aurait tout aussi bien pu lui voler l’héritage de son titre si ce n’avait pas été son cadet. Du haut de ses neuf ans, elle fait déjà preuve d’une grande maturité et d’un calme fort appréciable. Sa famille se gardait bien de faire savoir quelle éducation elle suivait hormis celles nécessaires pour une noble dame. Bien que n’ayant pas l’âge d’être mariée, certaines familles montraient déjà un brin d’intérêt pour quelques mariages arrangés avantageux. Si cela n’avait été que ça… Elle aurait préféré être vendue à une famille plutôt que ce qui suivi.

Leurs parents avaient été à une soirée, cordialement invités, et comme bon bourgeois qu’ils étaient, devaient participer à un bon nombre d’évènements mondains. Peut-être aurait-il fallu qu’ils ne participent pas à celui-ci. Sans que l’on sache la raison, les chevaux auront éventuellement pris peur ou bien l’entretient de la calèche avait été mal réalisé, dans tous les cas, la finalité fut le décès de leurs parents à un âge pourtant jeune. Aucun des deux enfants n’avait l’âge pour gérer la fortune familiale, alors il fut décidé que le frère de leur père, leur oncle, se charge de cette tâche en attendant qu’ils atteignent tous deux la maturité pour finalement leur laisser l’héritage. Était-ce de la jalousie dans son regard depuis des années, envers son frère ? Avait-il tout manigancé depuis le début ? Cette vérité ne serait sans doute jamais mise au jour. Il continua quelques temps à s’occuper de sa nièce et de son neveu, mais… Ne tarda pas à laisser transparaitre ses véritables sentiments. Allez savoir comment il réussit à se débarrasser des héritiers de l’empire financier de la famille Talbaut en plein centre de Londres, loin de la demeure familiale située plus en campagne.

On se demande encore comment il a réussi à faire croire qu’ils étaient eux-aussi, morts. Tragique, pas vrai ? Pas autant que la réalité suite à ce vil abandon dans une aussi grande ville, à la merci des plus ignobles gredins de cette ville viciée. Gwendolen a bien sûr essayé de revenir avec son frère à la maison, mais elle n’avait aucune idée d’où elle se trouvait, et on lui riait au nez quand elle demandait à des cochets de l’emmener au manoir des Talbaut. Sans aide elle ne pouvait pas rentrer avec son cadet. Elle dû improviser pour le protéger. Seulement… Les choses ne sont pas toujours aisées dans les rues de Londres. Elle chapardait de la nourriture comme elle pouvait, prenant exemple sur les gamins des rues quand ils faisaient leurs larcins. S’ils subsistèrent quelques temps comme ceci, trouvant au mieux un endroit à l’abri du vent pour dormir, son frère ne tarda pas à tomber malade, et devenir de plus en plus faible, sans qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit pour l’aider un tant soit peu, les médecins étant payants, bien entendu, et elle n’avait même pas d’argent. Elle ne put que le voir dépérir jour après jour et finalement, dû faire face à son corps froid, dénué de vie.

Elle ne sait guère, encore à ce jour, ce qu’est devenu son frêle corps, laissé à l’abandon, sans qu’elle ne sache quoi faire hormis pleurer la perte de son précieux cadet. Survivre dans les rues de Londres après avoir eu une enfance dorée, n’est pas ce que l’on appellerait aisé. Elle troqua sa féminité contre une allure androgyne pour éviter les hommes et leurs penchants désolants pour les femmes incapables de se protéger d’eux. Ce faisant, elle se fit des amis parmi les enfants des rues et se retrouva même intégrée à un petit groupe de voleurs à l’étalage, tous se protégeant les uns les autres en cas de pépin. Cependant, elle gardait en tête la mort de son frère, et ne cessait de se sentir aussi coupable que l’envie de revanche envers son oncle qui les avait lâchement abandonnés pour hériter de la famille. Jamais elle ne dévoila sa véritable identité à ses amis, préfèrent se faire appeler Cynn, taisant son prénom et son nom de famille de naissance. De toute manière, personne ne la croirait si elle disait venir de la famille Talbaut, malgré sa tâche de naissance familiale, ils auraient tôt fait de trouver un moyen pour se débarrasser d’elle définitivement sans faire de vagues.

L’adolescence n’est sans doute pas le meilleur moment à passer pour tout le monde, mais pour une fille qui se fait passer pour un garçon, il n’y a pas pire chose, entre découvrir du sang dans ses dessous et devoir cacher une poitrine grandissante à l’aide de bandages. Peut-être que certains avaient quelques doutes, mais ne dirent rien. Elle coupait ses cheveux très courts pour éviter que l’évidence soit trop forte. Il se passa quelques années, certains membres du groupe avaient décidé d’intégrer la pègre, faute de trouver un honnête travail. Elle ne préféra pas se mêler de ces choses-là, il était dangereux d’intégrer ce genre d’instigation sans y laisser des plumes plus tard. Mais même la rue à ses propres dangers, tout autant que les chemins les plus semé d’embuches. Il n’était plus qu’une question de temps avant qu’un des leurs ne se fasse prendre en chasse par la police et finisse finalement en prison. La chance, ou plutôt, la malchance s’acharna donc sur Cynn, qui non contente d’avoir volé de la nourriture, avait été chahutée au point qu’elle se fasse blesser à l’œil gauche, manquant de peu de perdre cet œil.

La prison… Outre le fait que la police, plutôt récente, faisait preuve d’une bonne part de violence lors de l’arrestation des criminels, ceux qui étaient arrêtés étaient tout autant des dangers supplémentaires avec le partage des cellules. Nul besoin de décrire le calvaire qu’elle y vécu après qu’ils aient découvert que c’était une femme, ni combien de temps elle dû penser uniquement à sa vengeance pour que son esprit ne sombre pas dans la folie. Après avoir purgé sa peine, elle fut amenée, officieusement, bien entendu, à une sorte de maison close. Bien qu’illégales, il y en avait pourtant, cachées dans les caves de Londres. Ainsi donc, on la livrait encore en pâture aux hommes. Ah ! La belle affaire. Elle fit ce qu’elle avait à faire, avec autant de dégoût qu’il était possible d’avoir pour les hommes. Lors de son temps libre, car elle en avait, et trouvait toujours le moyen de se faufiler ailleurs, après des années à trainer dans les rues de Londres, elle savait parfaitement comment disparaitre et se faire le plus invisible possible. Outre ses connaissances avec les dagues qui lui avaient maintes fois sauvé la mise.

De ces années-là, elle n’a que peu de souvenirs, n’ayant cherché qu’à survivre par tous les moyens possibles, jouant les aguicheuses, faisant ce qui était en son pouvoir pour glaner des informations pour ne pas perdre la tête. Un jour, elle eut si mal au ventre, qu’elle pensait qu’elle était en train de mourir. Elle avait était plutôt fatiguées les semaines précédentes… Mais devait-elle s’attendre à donner naissance à un enfant alors que son ventre n’était même pas rond ? Oui, ça aurait sans doute pris au dépourvu n’importe qui. Cet enfant, quel qu’il soit, n’avait pas de père défini. Était-elle prête à le garder et l’aimer malgré tout ? Il ressemblait en tout point à son frère quand il était encore un bébé… Elle ne pouvait pas s’en débarrasser. Comment pourrait-elle-même y penser ? Il était innocent. Il sera son fils, quand bien même elle n’avait pas souhaité avoir d’enfant. Pas dans ces conditions-là. Elle le garda avec elle, et s’en occupa du mieux qu’elle put, faisant tout pour qu’il ne manque de rien. Elle laissa ses activités peu légales de côté, préférant essayer de gagner sa vie en tant que serveuse dans un bar, continuant malgré tout à voir des hommes, profitant de leur manque d’attention pour leur faire les poches en plus de prendre son paiement.

Elle avait décidé de laisser la vengeance de côté, pour s’occuper de cette vie qui rendait la sienne moins morne et grise. Cependant, un enfant est d’autant plus fragile aux épidémies que les adultes… L’épidémie de choléra eut raison de son fils, après ses quelques années à l’aimer de toutes ses forces, voilà qu’elle perdait à nouveau une personne chère à son cœur. Elle le fit enterrer décemment dans un cimetière, profitant de l’occasion pour écrire également une épitaphe pour son frère, lui aussi disparu presque au même âge que son fils. Puisque la vie avait décidé de ne lui laisser aucun répit, elle n’aurait dorénavant plus aucun scrupule à marcher tout droit vers la vengeance qu’elle souhaitait tant. Il n’y avait plus que sa famille dans cette liste, il y avait aussi ses tortionnaire de cellules, les agents de police qui en avaient également profités… Devait-elle ajouter les nobles ayant abusé d’elle dans cette cave sordide où étaient entassée les femmes qui n’avaient d’autre choix que de vendre leur corps et leur dignité pour survivre dans ce monde pourri jusqu’à la moelle ? Elle reprit ses dagues, et commença la chasse à l’homme. Certes, tuer était un crime, mais encore fallait-il que l’on trouve le coupable, tout autant que le cadavre… Alors, elle se vengea. Les uns après les autres, ils tombaient comme des mouches. Et elle s’en débarrassait, les jetant dans la tamise. Oui, vraiment, la vengeance est ce qu’il y avait de plus doux, de plus saisissant, de plus… satisfaisant. Elle s’est débarrassée de tous ceux qui l’avaient un jour bafouée. Sa famille ne tarderait pas à comprendre que la revanche d’une femme est un plat qui se mange… sanglant. Et Dieu, où qu’il soit, ne pourrait rien faire pour les sauver. Si tel était sa destinée, elle finirait en enfer, ainsi soit-il.

Ah, si elle avait su. Ce rêve étrange… Elle avait certes renié Dieu, mais pourquoi rêvait-elle d’un dieu qui n’était visiblement pas d’ici ? Était-elle tombée sur la tête ? Seth. La vie réserve parfois bien des surprises. Peut-être qu’un autre dieu sera bien plus plaisant à satisfaire que ce soit disant démiurge cosmique ayant un humour tordu envers ses propres créations. Soit, cette expérience ne sera sans doute pas inutile, mais elle avait quand même des doutes. Qui n’en aurait pas, franchement ?