Un nouvel allié
Mission de rang 2
Dimanche 9 avril

Rien pendant des semaines. Ni rêve, ni intuitions, ni voix, et soudain…
Comme si Elle m’avait pris la main.
“Gerald.”
Et un oiseau par terre, immobile, dans le jardin botanique. Que faire ?

Lundi 10 avril

Impossible de m’endormir et d’oublier l’oiseau. J’y suis retourné en douce, à l’aube.
Je m’y connais mal en animaux. Je les apprécie, mais je suis un londonien, pas un campagnard. Il va bien falloir forcer ma nature, pourtant.
J’ai fait un croquis rapide de l’oiseau. Il ne bougeait toujours pas. Je n’ai pas osé le toucher.
Il respire, ça se voit. Ses ailes n’avaient pas l’air abîmées. Pourquoi ne vole-t-il pas ?
Je vais me précipiter à la librairie.

Lundi 10 avril, entrée 2

Une chouette effraie ! J’ai failli rester une heure sur place à lire les légendes qui y sont attachées.
J’ai fini par acheter un gros livre sur le sujet. Il est un peu daté, mais si les chouettes effraies mangeaient des souris voilà vingt ans, ce doit toujours être le cas, non ? Je n’ai plus qu’à en dénicher. En bonne santé, de préférence.
Je ne peux pas laisser l’oiseau comme ça sur le sol. Quelqu’un va finir par marcher dessus, ou l’emmener, ou Dieu sait quoi…

Lundi 10 avril, entrée 3

J’ai fait ce qui était conseillé dans le livre ; j’ai saisi l’oiseau le plus délicatement possible avec mes mains enroulées dans une étoffe, et je l’ai déposé dans une boîte tapissée de papier journal. Puis je l’ai ramené à la maison. Il a gonflé les plumes, a claqué le bec, mais il ne s’agite toujours pas.
Je feuillette nerveusement le livre en cherchant des réponses. En attendant, j’ai mis un bol d’eau près de la chouette.

Mardi 11 avril

J’ai payé deux gamins débrouillards pour me ramener des bestioles de la campagne alentours. Ils m’ont regardé comme si j’étais fou, mais la promesse de toucher quelques pièces s’ils reviennent avec des campagnols semble les avoir motivés.
J’ai donné un nom à la chouette effraie. Elle s’appelle Nuntia, maintenant.
J’ai du mal à en détacher le regard. Je sens bien qu’elle est censée être importante pour moi. Et si j’échouais à la sauver ?

Mardi 11 avril, entrée 2

“Choquée” : c’est ce que dit le livre. Et ça fait sens. Un choc… Nuntia a dû se cogner contre une vitre de l’hôpital…
Elle qui était déjà immobile, elle bouge de moins en moins.
Je vais la perdre bêtement…

Mardi 11 avril, entrée 3

Les gamins sont déjà de retour ! Ils ont dû passer la journée à courir. Mais c’est bon, j’ai une boîte entière pleine de souris et de campagnols morts. Je l’ai mise à côté de Nuntia. Seigneur, quelle odeur.

Mercredi 12 avril

Quatre bestioles ont disparu ! Elle a bu, aussi. J’en pleurerais de soulagement.
Je ne peux pas être le seul homme de tout Londres à avoir un oiseau. Il faut que je trouve des approvisionneurs pour sa nourriture… Et un endroit plus confortable pour se reposer que des papiers journaux.
Je feuillette un annuaire. Pendant ce temps, Nuntia me fixe. Dès que je fais mine d’approcher, elle agite les ailes et pousse des cris d’outre-tombe… Il a fallu que j’aille m’excuser auprès des voisins.

Jeudi 13 avril

J’ai pris contact avec quelqu’un qui va me livrer le nécessaire demain.
J’ai récité de la poésie à Nuntia. Je jurerais qu’elle m’écoute. Elle ne se laisse toujours pas approcher, pourtant, mais elle mange, boit, agite les ailes et dort. C’est bon signe, non ?
Est-ce que Cordelia Rosemond s’est retrouvée avec un animal aussi ? Peut-être que tout le monde doit avoir un oiseau ?

Vendredi 14 avril

J’ai pris l’habitude de parler à Nuntia. Je lui demande son avis sur tout et rien. Je lui ai écrit un petit poème, aussi, mais le sixième vers n’était pas à son goût, semble-t-il. Elle a raison, la césure était maladroite.

Vendredi 14 avril, entrée 2

J’ai de nouveau à manger pour Nuntia ! Et un perchoir !
Elle me laisse un peu approcher, maintenant. Au moins pour changer les journaux. Je suis devenu l’esclave d’un oiseau.
Ah, elle m’a mal regardé. Je plaisante, Nuntia.

Samedi 15 avril

Grande frayeur ce matin. Elle n’était nulle part, j’ai passé une demi-heure à retourner mon appartement avant de la retrouver calée entre deux dictionnaires latins sur une étagère.
Je lui ai écrit un nouveau poème pour la peine. C’était davantage à son goût. Ce doit être d’avoir comparé son plumage à des ailes d’ange, ça fait son petit effet.

Samedi 15 avril, entrée 2

J’ai ouvert la fenêtre, et elle est partie.
Je ne peux pas me rendormir. J’attends. Elle va revenir, n’est-ce pas ?

Samedi 15 avril, entrée 3

Deux heures du matin. Nuntia n’est pas revenue. L’inquiétude m’étouffe.

Dimanche 16 avril

Cinq heures du matin. Toujours rien. Il gèle dans mon appartement, mais je n’ose pas refermer. J’ai mis du bois dans la cheminée, une couverture autour de mes épaules, et j’attends. Elle n’a pas assez de campagnols, peut-être ? J’ai changé son eau. J’ai tout nettoyé… Et si elle se blessait encore ? Peut-être que je dois sortir aussi ? Peut-être que je fais tout de travers. Peut-être qu’elle déteste être enfermée dans cet appartement londonien… Elle doit aimer les grands espaces, la campagne, les forêts… Pourquoi une si belle créature voudrait-elle rester coincée avec quelqu’un comme moi ?
Non, je ne dois pas dire ça. Isis m’a guidé vers elle et j’ai fait de mon mieux. Mais je suis tellement inquiet…

Dimanche 16 avril, entrée 2

Elle est revenue. Elle va bien. Je suis épuisé.

Lundi 17 avril

Elle est venue sur mon bureau, a poussé un petit cri, et a posé sa tête contre mon front. Ma main tremblait un peu, mais j’ai pu l’effleurer sans qu’elle ne semble dérangée.
Elle dort sur son perchoir. Ce n’est peut-être pas très confortable, quand même. Elle avait l’air d’aimer être dans son petit coin sur l’étagère, entre mes livres. Je vais lui offrir une niche à sa taille et la mettre dans un coin tranquille.

Mardi 18 avril

Tout va bien, aujourd’hui. Elle est sortie voler un peu à l’aube, mais elle est revenue.
Elle a renversé mon encrier, j’ai passé une heure à nettoyer.
Je me sens moins seul.